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Maroquinerie

Samsonite

Entretien avec Damien Mignot, DG de la filiale France.

On doit dépoussiérer le marché du voyage !

Rien ne semble arrêter Samsonite International. Outre la reprise en 2012 des marques d’outdoor High Sierra et de luxe Hartmann, le groupe spécialiste du bagage ne cesse de s’étoffer, de la licence européenne de Disney acquise fin 2013 à l’image plus mode et féminine de sa dernière recrue Lipault, depuis avril dernier. De quoi s’interroger sur les ambitions de la multinationale.

Que pèse Samsonite International aujourd’hui ?

Depuis le grand événement qu’a été l’entrée en bourse en 2011 de Samsonite International à Hong Kong – une ville choisie car la moitié du chiffre d’affaires (2,1 milliards wholesale en 2013) et des profits est réalisée en Asie, le groupe s’est refinancé et est reparti de façon très agressive dans les investissements à tous les niveaux. Ainsi, nous avons dépensé 160 millions de dollars, en publicité et marketing, l’année dernière ; nous avons aussi beaucoup investi dans la fabrication, le design : nous possédons un pôle R&D en partie implanté dans notre usine belge, où sont produits les articles Curv et le polypropylène, notre propre usine en Hongrie, des équipes en Italie et aux Etats-Unis, nos unités de production en Asie et notamment en Inde.

Depuis cinq ans, sous l’impulsion de notre PDG Tim Parker, nous connaissons à la fois une croissance organique, dans des pays matures comme la France, et une croissance géographique sur d’autres zones. Aujourd’hui, l’Europe pèse environ 25% des ventes.

Qu’en est-il du marché français plus précisément ?

Au cours des cinq dernières années, la France a doublé son chiffre d’affaires facturé pour se hisser à 55 millions d’euros en 2013 et ce, grâce à la technologie Curv et à d’autres produits innovants sous le label Samsonite principalement. Aujourd’hui, nous collaborons avec 920-930 comptes, soit 1 200 points de vente spécialisés et les grands magasins. Nous avons donc réalisé une progression à univers de vente constant.

Quel est votre positionnement dans l’univers des bagages ?

On doit dépoussiérer le marché du voyage et lui donner ses lettres de noblesse. Nous devons faire partie des marques qui font bouger ce marché, qui a tous les fondamentaux pour se développer. Les gens continuent à voyager… sinon plus longtemps, de plus en plus souvent. Parmi les voyageurs, des gens plus âgés ont du temps et veulent en profiter. C’est une clientèle exigeante ; il est important de satisfaire leurs besoins. La demande est là, il faut savoir y répondre. Lorsque nous rachetons des labels, nous réfléchissons d’abord au sens de l’acquisition au niveau local et, en second filtre, nous nous demandons quel potentiel aurait-elle dans d’autres régions du monde. Notre force ? Avoir une structure extrêmement courte qui permet des décisions rapides et surtout de rester très local, pour satisfaire des besoins spécifiques. Nous ne sommes pas les ayatollahs d’un produit en particulier ; les habitudes ne sont pas les mêmes partout.

Quelle est actuellement la stratégie du groupe en France ?

Depuis cinq ans, priorité était donnée à Samsonite. Maintenant, nous sommes à la croisée des chemins : nous voulons nous adresser à plus de consommateurs en France, donc couvrir un spectre plus large de produits avec des positionnements différents. Dans cette optique, nous fondons beaucoup d’espoir en American Tourister.

Où en êtes-vous avec American Tourister en France ?

Label numéro 2 en volume dans le monde et plus gros succès du groupe, American Tourister représente 50% des ventes en Asie et 40% aux Etats-Unis. En France, nous la lançons depuis 12 mois et allons communiquer en média. La marque n’est pas inconnue ; la clientèle des grands magasins la connaît déjà, ce qui va nous aider. Dans le cas d’American Tourister, le consommateur recherche un produit moins « premium » que Samsonite, moins onéreux.

Quels brevets et nouveautés produits sont en cours ?

Il y a toujours des brevets en cours ! D’ailleurs, le positionnement de Samsonite repose sur le fait d’afficher toujours plus de performance et de faire des zones de voyage et de transit des lieus dotés du moins de stress possible. La dernière innovation majeure, la Lite-Locked, propose ainsi, pour la première fois, une serrure trois points sur une structure souple. Une bonne alchimie entre un mix design et vraie performance produit.

Jusqu’à quand jouissez-vous du monopole sur la technologie Curv ?

Le contrat d’exclusivité court jusqu’en 2017, mais toute perspective de renouvellement n’est pas exclue.

Quelles sont les incidences de votre croissance sur les structures déjà existantes ?

En France, nous accompagnons humainement ce développement : les commerciaux sur le terrain sont passés de 7 à 10. Le back-office a grandi lui aussi avec un site Internet BtoB permettant aux maroquiniers de s’approvisionner. Les locaux parisiens regroupent une bonne vingtaine de personnes. Autre évolution, notre capacité à livrer avec l’agrandissement de nos entrepôts déjà gigantesques de Flandres. Notre plateforme belge a augmenté sa capacité de stockage de 30 000 palettes. Ce qui la conduit à accueillir plus de 70 000 palettes. De quoi éviter les ruptures de livraisons ! D’autant que plus de 60% du chiffre d’affaires français sont réalisés avec des produits fabriqués en Europe. Nous sommes ainsi parmi les seuls à pouvoir livrer en toute fluidité.

Pourquoi le rachat des bagages américains Hartmann ?

Hartmann a un potentiel vraiment global. Elle répond aux besoins de clients qui n’ont aucun problème de revenus, mais ne trouvent pas entière satisfaction dans les marques de luxe. Cherchant le mieux dans tout ce qu’ils font et ont, ils n’hésitent pas à dépenser 700-800 euros pour un bagage. La diffusion de niche d’Hartmann est donc modeste et se fait d’abord en grands magasins. Nous allons vers des valises encore plus technologiques en associant Curv avec l’historique de la marque, qui est encore plus ancienne que Samsonite (elle a été fondée en 1877 contre 1910 par Samsonite, ndlr). Présentée en Belgique aux maroquiniers les 11 & 12 février derniers, la première collection, une ligne courte baptisée 7R, multiplie les innovations : roues à suspension, poignée inédite… Et sera livrée en septembre avant d’être rejointe par d’autres gammes en 2015.

Comment préparez-vous l’implantation de High Sierra en France ?

Avec High Sierra, nous livrons actuellement les points de vente pour la rentrée des classes avec des produits très ‘back to school’ et un bon positionnement prix. Mais le défi est grand, le marché français de l’outdoor n’étant pas simple car hyper compétitif et avancé…

Avec l’acquisition de Lipault en avril, une marque française entre dans le giron du groupe. Comment percevez-vous la venue de cette french touch ?

Le rachat de Lipault est une initiative de notre filiale française. Acquise pour 20 millions d’euros, cette jeune marque, de moins de 10 ans, est une pépite : elle est 100% complémentaire avec nos autres labels. De plus, elle est plutôt retail : 60% de son chiffre d’affaires de 6,5 millions d’euros se faisaient autour de ses 4 boutiques en propre (3 à Paris et une à Strasbourg). Avec des ventes s’élevant à 4 millions de dollars aux Etats-Unis et autant en Corée, nous notons une vraie appétence mondiale, dans un laps de temps assez court, pour les produits Lipault. Notre ambition est forte en France, mais aussi et surtout à l’international. C’est pour nous une plateforme de développement énorme auprès des personnes sensibles à la mode. Avec cette nouvelle recrue, nous vendons le bagage différemment, comme un accessoire de mode, un achat d’impulsion, auprès de grands voyageurs qui n’hésitent pas à renouveler leurs articles. Parmi les clients Lipault, 90% sont des femmes plébiscitant le produit pour une couleur, un toucher. Son équipe (env. 13 personnes), dont son fondateur, François Lipovetsky, qui nous accompagne pendant 6 mois, nous ont déjà rejoints. Cette marque doit être nourrie à partir de la France et surtout de Paris ; ainsi la création et le marketing seront des services dédiés, basés dans notre capitale. Nous poursuivons sur le même rythme de création de collections, avec l’introduction de 2 nouvelles couleurs par saison et leur apportons des technologies, des catalogues, de la PLV dont ils ne disposaient pas auparavant.

Quand et comment arriveront les premiers produits sous licence Disney ?

Sammies ne fait pas rentrer les enfants à tous les coups en boutique. Disney, en revanche, sera déclencheur. Cette licence européenne, que nous sommes les seuls à détenir dans le secteur pour cinq ans (elle a été signée fin 2013, ndlr), va donner les moyens à nos clients de vendre des produits auxquels ils n’avaient pas accès jusqu’à aujourd’hui. C’est la gamme la plus simple à vendre, car la marque est extrêmement forte. Dès cet été, nous lançons une Cosmolite Mickey, rejointe par des modèles illustrés par des personnages tels Mickey, Cars, les Avengers, pour la rentrée scolaire. Nous arriverons sur la deuxième partie de l’année avec beaucoup de collections, cela va être un festival ! Outre la PLV plus traditionnelle, nous développons des présentoirs-îlots Disney pour y réunir plusieurs familles et pouvoir évoluer autour.

Quelle politique merchandising appliquez-vous ?

Il est beaucoup plus facile et professionnel pour une marque de s’implanter à l’aide de présentoirs qui expriment son univers. Aussi nous aidons nos clients à choisir les gammes au plus près du positionnement de leur magasin. Pour preuve, nous avons implanté en co-investissement 350 mètres linéaires de merchandising en multimarques l’année dernière avec nos propositions shop-in-shop. Le bagage devient de plus en plus un achat d’impulsion… Les maroquiniers l’ont compris. Nous essayons donc de faire gagnant-gagnant et le merchandising fait partie de la formule. Tout comme la communication : nous initions deux vagues multimédia par an, télé, Internet, presse…. Nous préparons et informons les maroquiniers de toutes ces initiatives. Plusieurs millions d’euros sont consacrés à la communication en France chaque année. Il est capital d’inciter le consommateur à revenir plus souvent en maroquinerie.

Quelle est votre stratégie commerciale sur Internet ?

C’est comme en média, nous devons toucher les gens là où ils sont. Les gros voyageurs sont sur Internet. Le site de chacune de nos marques est un site référent et marchand. Mais leurs recettes sont marginales : 3% de notre chiffre… C’est moins que ce que les gens s’imaginent, mais c’est une présence incontournable, qui rend des vrais services y compris aux détaillants.

Que signifie l’ouverture d’une boutique parisienne en propre ?

Nous inaugurons en juillet 60m² de surface de vente d’articles Samsonite, au 12 boulevard des Capucines à Paris, avec le même mobilier que celui proposé à nos détaillants. Ce flagship rejoindra ceux que comptent déjà l’Espagne et l’Italie et celui qui a ouvert en Autriche, à Vienne l’an passé. Il a vocation à être une vitrine, tout particulièrement pour les étrangers.

Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ? La croissance non organique est-elle toujours envisagée ?

Nous voulons de nouveau doubler notre chiffre d’affaires sur notre marché au cours des cinq prochaines années. La politique de croissance externe est toujours en marche, mais il faut que tout rachat fasse sens, ne pas rompre le rythme de développement du label nouvellement acquis et le traiter dans son positionnement d’origine.

Propos recueillis par Emilie Kremer