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Accessoires textiles, Chaussures, Maroquinerie

Interview

La région italienne des Marches s’illustre par le foisonnement
de ses ateliers artisanaux, créatifs et qualitatifs

À l’occasion du salon Premiere Classe mars 2023, C+ accessoires a rencontré Andrea Maria Antonini, assesseur de la région des Marches, venu soutenir la présence de ses fabricants locaux et assurer la promotion de la région italienne des Marches.

Propos recueillis par Lydia Christidis et Florence Julienne

Une terre qui abrite une multitude d’entreprises familiales

Qu’est-ce qui caractérise la région des Marches au sein de l’Italie ?
Andrea Maria Antonini : La région des Marches se situe au centre de l’Italie, sur la mer Adriatique. La nature y est très variée et de petites collines descendent sur la mer. Cette particularité géographique fait que la région des Marches ne compte aucune ville au-dessus de 100 000 habitants, mais des petits bourgs et des villages qui abritent une multitude d’entreprises familiales, plus ou moins grandes. Il y en a des centaines, voire des milliers.

Qu’en est-il de son tissu industriel ?
Ces unités de production artisanales ont développé des activités dans la mode et se sont particulièrement imposées dans le secteur de la chaussure. Elles se concentrent sur la recherche et le développement de modèles artisanaux (faits main), de haute qualité, créatifs et à la mode. Ce district industriel est aujourd’hui le plus important de toute l’Italie. Il réunit toute la filière cuir, de la peausserie, aux formes, semelles, lacets… Les entrepreneurs travaillent tous ensemble, aussi bien en tant que sous-traitants pour des griffes de luxe internationales — Tod’s, Fendi, Gucci…— que pour leur marque en propre.

Chiffres d'affaires à l'export du secteur Mode de la région des Marches en 2021 (en €)

L’implantation grandissante des acteurs du luxe, notamment de la chaussure

Le risque que les sous-traitants soient rachetés par les donneurs d’ordre du luxe existe-t-il en Italie, comme c’est le cas en France ?
Le phénomène de rachat des artisans par les groupes de luxe internationaux se produit également en Italie. C’est le cas, par exemple, de Louis Vuitton qui s’est installé dans les Marches. Nous ne voyons aucun inconvénient à leur implantation et à leur apport de capitaux étrangers sur notre sol. Il y a tellement de structures que le système n’est pas en danger. Ils peuvent acquérir des entreprises, mais ne peuvent pas remplacer les personnes qui connaissent leur métier. Notre volonté est que les habitants des Marches trouvent du travail et que leur savoir-faire, artistique et artisanal, reste en Italie.

Que fait la région des Marches pour que ce savoir-faire ancestral soit transmis aux nouvelles générations ?
La région a créé l’ITS (Institut Technique Supérieur), une école de formation destinée aux jeunes apprentis. Chaque année, des accords sont pris à l’occasion de tables rondes avec les entrepreneurs pour comprendre leurs besoins et, ainsi, garantir des cours spécifiques. De fait, quand les jeunes ont fini leur cursus, ils trouvent immédiatement du travail.

L’artisanat fait-il encore rêver les jeunes ?
Nous sommes confrontés à la désaffection de ce métier par la nouvelle génération, mais, en même temps, nous avons l’exemple de la fille de Feruccio Vecchi, Francesca, qui prend sa suite en créant sa propre ligne. Feruccio Vecchi Studio offre aux chapeaux, créés par la maison, une touche différente qui a sa place sur un salon comme Premiere Classe.
Notre responsabilité, en tant que pouvoir administratif, est de faire comprendre aux entreprises familiales vieillissantes qu’elles doivent se renouveler. Le rapport au travail doit évoluer. Les jeunes ne doivent plus imaginer qu’ils vont travailler dans des lieux sales, qui sentent mauvais ou sont peut-être toxiques, mais dans des espaces rénovés, sains et dans des conditions agréables.

Une activité industrielle et artisanale de plus en plus vertueuse

Comment la région des Marches peut-elle influencer l’évolution de ses entreprises vers plus de responsabilité sociale et environnementale ?
Nous sommes la première région italienne où syndicats et sociétés ont signé un protocole pour le bien-être au sein des entreprises et le respect du travailleur. Nous bénéficions de fonds européens très importants qui vont nous permettre d’encourager les stratégies RSE, selon un principe méritoire. Plus les entreprises s’engageront, plus elles bénéficieront d’aides financières.

Quid du cuir, principale matière première, qui fait face aux détracteurs vegan ?
Petit à petit, les entreprises sont en train de trouver des solutions alternatives (comme l’utilisation des matières Ecopel) soit parce qu’elles sont sensibles à la question environnementale, soit parce qu’elles savent que le marché va dans ce sens. L’utilisation du cuir reste cependant très présente et il convient de s’adapter avec des procédés moins nocifs pour l’environnement.

La région des Marches n’est pas qu’une terre de sous-traitance. Pourquoi est-ce important de le souligner ?
C’est important car la majorité des artisans possèdent leur marque en propre. Ils ne produisent pas d’énormes quantités, mais ils le gèrent bien, car en tant que fabricants, ils ne sont pas soumis à des minima. Même si leurs structures sont petites, ils ont conquis des marchés conséquents et vendent dans le monde entier. Certains ont leur propre showroom, d’autres s’appuient sur des réseaux étrangers de distribution.

Des marques en propre à la conquête de marchés à l’export

Quel est le principal marché des marques de chaussures de la Région des Marches ?
Avant la guerre en Ukraine, l’export était principalement concentré sur le marché russe. Certaines entreprises vendaient quasiment 100 % de leur production en Russie. Tout marché confondu (textiles et accessoires de mode), la Russie est classée cinquième mais, en termes de chaussures, c’est le premier.

Marchés à l'export du secteur Chaussures et Maroquinerie de la région des Marches en 2021 et 3e trimestre 2022

Evolution d'unités Chaussures et Maroquinerie exportées de la région des Marches entre 2014 et 2021

Comment avez-vous géré l’arrêt brutal des relations commerciales avec votre principal importateur, la Russie ?
La région des Marches a soutenu les entreprises du secteur de la chaussure avec des mesures qui se chiffrent en millions d’euros. Nous compensons la diminution du marché russe, ukrainien et biélorusse avec les ex-pays de l’Union Soviétique. Ainsi, alors que nous sommes présents à la fashion week Paris, 30 entreprises exposent à Almaty au Kazakhstan*. Nous investissons dans la recherche de nouveaux marchés comme l’Afrique, la Chine, le Japon ou encore les États-Unis, grâce à notre présence au salon Market, à Los Angeles, en juillet 2023.
Les acheteurs américains apprécient beaucoup le Made in Italy pour la qualité, le côté artisanal… Or, c’est précisément ce qui nous caractérise. Les USA peuvent devenir un marché important, comme le sont l’Allemagne, la France ou le Royaume Uni. Certes, il n’est pas aisé de remplacer le marché russe, mais  nos entrepreneurs ont de grandes facultés d’adaptation et s’aperçoivent que ce n’est pas aussi grave que ce qu’ils auraient pu l’imaginer.

Quid de la notoriété des marques de chaussures made in Région des Marches ?
Je vais vous divulguer un scoop : j’ai décidé de mettre des financements importants pour les aider à optimiser leur image et leur communication. Je suis en poste depuis 2 ans, mais seulement 4 mois sur ce secteur spécifique. Il me reste encore minimum 3 ans pour agir.

 

*Mode Italien@Almaty est un événement organisé par Usines de chaussures, en partenariat avec EMI, Autorité italienne de la mode, et le patronage de l’Ambassade d’Italie au Kazakhstan, le support opérationnel de Agence ICE en collaboration avec AIP, Association italienne de la fourrure et Assopellettieri.