Jean-Noël Degasne, Le Caïman à Cherbourg, se retourne sur 45 ans d’activité

Absence de salon professionnel français représentatif, raréfaction du nombre de détaillants spécialisés, vieillissement de la profession… le détaillant maroquinier, vétéran du secteur, a bien voulu dresser avec nous une ébauche de constat.

Propos recueillis par Florence Julienne

À la veille du showroom de Lyon (18 et 19 septembre 2022) et du Mipel italien (18 et 20 septembre 2022), C+ accessoires a eu envie d’en savoir un peu plus sur l’état de cette profession que nous accompagnons depuis 33 ans.
Merci à Jean-Noël Degasne, propriétaire de deux boutiques à Cherbourg, Le Caïman, pour son témoignage.

 Assiste-t-on à une disparition du réseau multimarques maroquiniers ?

Le nombre de multimarques a drastiquement diminué. Quand j’ai ouvert à Cherbourg, il y a 40 ans, nous étions 6 maroquiniers. Aujourd’hui, je suis tout seul. Quand j’avais ouvert à Caen, il y en avait 9 ou 10, il en reste 2.

Vous-même aviez 4 boutiques et n’en avez plus que 2 ?

Actuellement, Le Caïman, ce sont deux boutiques physiques de 120m² sur Cherbourg : une en centre-ville en zone piétonne et l’autre en galerie marchande. Nous en avions trois à Cherbourg et une à Caen. Nous avons conservé les magasins les plus emblématiques de notre gamme de produits, qui va de Longchamp, uniquement distribué en centre-ville, Liu Jio, Lancaster, Guess, Paul Marius, Fuchsia… Par ailleurs, nous développons un site Internet en Click and Collect qui sera marchand en 2023.

De quoi souffre ce réseau de distribution ?

Le problème est que l’on y retrouve un peu toujours les mêmes produits. À l’époque, le salon de la maroquinerie nous permettait d’analyser les collections proposées, de faire des comparaisons. Étant donné qu’il n’y a plus de grands rassemblements, chacun travaille avec son réseau, les commerciaux et les maisons qui ont des showrooms, le plus souvent sur Paris. De plus, il y a de moins en moins de fabricants maroquiniers en France.

N’y a-t-il pas, de la part de la profession, un manque d’entrain pour se déplacer sur les salons et aller voir les collections ?

C’est un tout. Si les détaillants n’y vont pas, les marques en déduisent que Ce n’est pas la peine d’exposer… Alors les commerçants se disent Comme il y a moins d’offres, ce ne vaut pas la peine d’y aller… Les maroquiniers sont plus proches des 60 ans que des 30. Ils vivent sur leurs acquis et se disent Pourquoi se déplacer, passer du temps, dépenser de l’argent alors qu’on a ce qu’il faut en boutique ? La curiosité n’est plus exercée…

Fréquentez-vous les salons professionnels ?

Nous avons été à Who’s Next deux jours, en septembre, puis nous avons visité pendant trois jours les showrooms de marques. Et nous avons fini à Maison&Objet. Sur ce salon, bien souvent ce sont des petits stands qui proposent des mini-collections, qui sont plus adaptées à une offre concept store. Autrefois, nous faisions le Mipel…qui est devenu moins intéressant. Notre objectif est d’aller prochainement sur ILM Offenbach pour découvrir d’autres griffes : c’est le rendez-vous le plus professionnel en Europe qui regroupe des marques leaders comme Samsonite, Lancaster… qui n’exposent plus en France depuis longtemps. Le but n’est pas d’aller voir les maisons connues… mais, si elles sont là, cela signifie quelque chose !

Que pensez-vous des minima de commandes imposés par les marques incontournables ?

C’est surtout vrai quand une marque cherche à monter en gamme et que les détaillants des petites villes ne peuvent absorber la totalité des collections proposées, en volume et en prix. Ils se font cannibaliser car toute leur trésorerie y passe. Sur des villes moyennes ou grandes, ce n’est pas aussi évident car le chiffre d’affaires est beaucoup plus fractionné. Personnellement, cela ne m’a jamais dérangé et, de toute façon, je n’ai jamais accepté qu’il y ait un positionnement trop dominant dans mes multimarques. Ce qui peut être productif pendant un temps n’est pas éternel et le plongeon est proportionnel à la présence en magasin.

Quid de l’expérience client en boutique, organisez-vous des événements ?

J’ai eu des franchises dans le prêt-à-porter qui menaient une politique d’animation comme des petits-déjeuners … C’était sympathique mais, commercialement, ce n’était pas satisfaisant. Je me base plus volontiers sur nos produits et sur leur présentation aux clients.

De quelle concurrence souffrez-vous ?

Hormis Internet, nos concurrents ne sont plus les détaillants spécialisés, mais les magasins de textiles qui vendent tous de l’accessoire de mode. Même les grandes surfaces cherchent à se développer dans ce sens et cela se sent à la rentrée scolaire : elles sont à l’affût de marques de cartables et de sacs à dos. Sans doute se rendent-elles compte que leurs produits génériques se vendent moins ?

Le bagage est-il l’avenir du maroquinier ?

Pour ceux qui ont de la place, oui. Les consommateurs recherchent la sécurité pour leurs bagages, en termes de qualité et de SAV. Ils ont besoin de spécialistes. Ici, c’est ma femme qui fait les réparations.

Quels types de produits correspondent à la demande actuelle du marché ?

En premier lieu, le style vintage. Ensuite, les marques de prêt-à-porter qui ont développé l’accessoire de mode, comme Guess, Tommy Hilfiger… Il y a beaucoup de porter travers, des petits volumes un peu rigides avec des poignets. On revient aussi à des sacs banane qui se croisent sous l’épaule. On assiste également à un balbutiement des matières vegan et je pense qu’elles finiront par percer. La mode joue son rôle, mais de manière moins marquée qu’auparavant.